TOKYO STATION, éditions Trans Photographic Press, 93 photos couleur et n&b, format 23 x 23 cm
Suivi d’un dialogue entre Raymond Depardon et Jean-Christophe Béchet.
Livre épuisé, derniers exemplaires en édition limitée avec tirage original (Prix : 350 E)
Dialogue entre Raymond Depardon et Jean-Christophe Béchet à propos de « Tokyo Station » (extraits)
RAYMOND DEPARDON : Quand je suis allé la première fois à Tokyo, en 1964 pour les Jeux Olympiques, j’ai détesté cette ville. A force d’y aller, environ une fois tous les dix ans, j’ai commencé à aimer cette ville et aujourd’hui je serai prêt à y habiter parce que je trouve que c’est une ville qu’il faut affronter, qu’il ne faut pas la fuir. Tokyo c’est une ville qui casse un peu l’image romantique qu’on peut avoir de la ville. C’est Rem Koohlas, l’architecte qui dit : » il faut arrêter de voir la ville comme un petit village reconstitué ». Tokyo reste une ville très forte visuellement et tes photos nous le montrent bien. Quand je vois tes photos, je trouve d’abord qu’il y a de trés belles choses. Mais surtout, il y a quelque chose de nouveau dans tes photos car tu es parti du désordre et tu as mis de l’ordre. Mettre de l’ordre dans la rue de Tokyo c’est quand même un exploit ! Il existe un nouveau désordre dans les villes avec l’arrivée d’un nouveau mobilier urbain. Et un désordre en couleur que tu as bien saisi. J’ai photographié New York dans les années 80 en n&b, toi tu fais parti de cette nouvelle génération qui voit aussi en couleur, ce qui est après tout assez naturel…(rires)
JCB : Je suis heureux que tu aies senti cette idée d’ordre et de désordre, car cela a été mon moteur. Voir le désordre, et l’ordonner tout en laissant laisser entrer une part de surprise dans le cadre. La photographie pour moi c’est d’abord la disponibilité. Aux gens, aux architectures, aux odeurs, aux bruits… Il y a une phrase de Léo Ferré que j’aime beaucoup : le désordre c’est l’ordre sans le pouvoir. Ce qui est compliqué, c’est d’expliquer qu’à la fois c’est important que ces photos soient prises au Japon et qu’en même temps ce n’est pas important de reconnaître le Japon. C’est un point de vue, un roman documentaire. Une photo seule ne veut pas dire grand chose. C’est le flux qui compte, le rythme. Chaque ville a son rythme. On retrouve les mêmes fast food, les mêmes pub, les mêmes modes vestimentaires… mais pas les mêmes rythmes, ni les mêmes architectures. Les livres touristiques jouent sur la ressemblance : le spectateur doit reconnaitre le Japon qu’il a vu ou qu’il imagine. Moi, je ne veux pas que l’on reconnaisse quoique ce soit. Je veux faire passer un sentiment, un témoignage, une respiration…
RD : Oui tu ne veux pas être trop formaliste, je te comprends. Tokyo c’est aussi un grand asile psychiatrique, c’est une danse, une gestuelle. Dans les bars, les japonais se libèrent, c’est magnifique. Tu les vois et tu te dis qu’au fond cet étranger, c’est… toi ! Eux c’est nous, et au fond on est tous pareil. J’ai un peu peur quand je les vois, car c’est un peu moi aussi. Moi aussi quand je marche dans la rue, j’ai cet air ailleurs, comme dans tes photos , je pense à mes négatifs, je me dis pourvu qu’ils ne soient pas surexposés (rires) du coup j’ai cet air absent, concentré…
JCB : c’est aussi pourquoi, il ne faut pas plaquer trop d’explications psychologiques sur des photos. Il faut accepter de ne pas tout expliquer ou comprendre. J’offre le point de vue d’un « passant ». Je défends cette idée d’être un voyageur, un passeur. Ni un sociologue, ni un illustrateur. Juste un photographe français qui regarde et capte des situations en essayant de les organiser sur le plan du sens et de l’esthétique.
RD : Moi, je trouve que c’est toi tout ça. Dans ce livre, tu es chez toi , tu as trouvé ton style. En tous cas je trouve que ton travail est intéressant car des photos comme celles-ci manquaient en France. Welcome !
Paris, novembre 2003